exp. 003 : lire sous lumière rouge

J’aime dormir. Bien plus que manger, par exemple. Mais en ce moment des cachets me réveillent entre deux et quatre heures du matin. De toujours, j’ai lu quelques pages lors des moments d’insomnie avant de reprendre ma position fœtale pour finir ma nuit. Mais cette fois, la lumière jaune de ma lampe de chevet, pourtant incroyablement douce, finissait de me réveiller. On avance dans les lectures mais la fatigue creusent les journées par le milieu.

S. Tesson postule dans une interview que la lumière rouge, volée aux marins, sauverait des relations en permettant au lecteur de lire la nuit sans gêner son/sa/ses partenaires.  Pour éviter de trop stimuler ma rétine, me voilà donc avec ma lampe de randonneur sur le front, à retrouver des sensations perdues depuis l’enfance : lire sous la couette jusqu’à ce que les yeux piquent ; les ombres des pages, des doigts, des cheveux qui camouflent les mots ; le grain du papier qui s’épaissit ; parfois, le scintillement de l’ampoule ; et, spécificité de la lumière rouge, une tension au moment de l’allumage qui va en s’apaisant au fil des paragraphes (d’ailleurs le rouge vire à l’ambre après quelques phrases seulement).

Manque de bol, ces retrouvailles avec la lecture à la lampe ont cramé au contact des scènes les plus horribles que je n’ai jamais lues. Edogawa Ranpo – pseudonyme de Tarō Hirai (1894-1965) qui provient de la transposition en phonétique japonaise du nom d’Edgar Allan Poe – est considéré comme un des principaux fondateurs de la littérature policière japonaise. Littérature policière japonaise dont j’ignore encore tout. Mais lire au milieu de la nuit, dans une ambiance en trois tonalités : rouge sang, rouille et noir, des phrases comme : « Sur ce corps réduit à un tronc, l’obésité prenait des proportions effrayantes », vous pousse à la fois à fermer le livre de dégoût et à plonger dans sa lecture pour les mêmes raisons qui font ralentir à l’approche d’un accident de la route ; en tout cas, rien qui ne soit susceptible de produire de la mélatonine.

Le recueil de cinq nouvelles La Chambre rouge aux éditions Piquier poche est un régal. L’écriture est simple et solide. La maîtrise technique des récits est un cas d’école. C’est érotique et grotesque, violent et velouté.
« À la mort de mon père, je laissai mon frère prendre sa succession et, malgré mon âge, je me retirai du monde. » N’oubliant pas d’emporter avec moi une torche rouge.

Disco Inferno Vol. 2 (janvier 2018) ; illustration : Romain Bourguet

investigation marine

CM1, école Jean Monnet, il y a plus de vingt ans maintenant. Depuis quelques jours une drôle d’effervescence anime la classe. Mme Barthez (oui, nous sommes déjà champions du monde à l’époque) nous a donné à lire un livre à la maison, à raison d’un chapitre par soir, dont nous reprenons la lecture en classe le lendemain, à voix haute. C’est un polar (mais je ne le sais pas encore) qui se déroule au fond de la mer. L’enquête poissonneuse captive la classe et tout le monde y va de ses pronostics : même mon copain Jean Marc – lecteur moins assidu que moi – est pris par l’intrigue.

Vague souvenir de devoir lire un passage devant la classe. Peur et plaisir.

Laurent a bien sûr dévoré le livre et connaît l’identité du tueur. On ne pense pas qu’il soit possible de finir un bouquin si vite mais personne ne veut qu’il nous le prouve en dévoilant le nom du coupable.

Je me souviens de l’inspecteur charismatique. Un bar peut-être ?

Je recherche ce livre depuis une dizaine d’années maintenant. Les mots clefs tapés sur Google (dont j’apprendrais à me servir en CM2) sont faibles : roman policier jeunesse, océan, poissons, couverture jaune et noire, années 2000. Compliqué de sortir la tête de l’eau avec ça. Mais je garde espoir. Je finirai par remettre la main sur ce bout de mon enfance et retrouverai qui était le tueur du fond des océans.