éclats antichronologiques

Draps tièdes et peau glabre. Nausée.

Un cheval piétine mes intestins. La soif me fait rêver de jus de fruits.

Terreur, puis honte. On m’observe.

Surprise de trouver ce bout de carton rembourré par l’amitié plus confortable que certains lits.

Senteur sirupeuse du caoutchouc. C’est une fournaise sous la tente. Le matelas couine et colle à ma peau.

Les étoiles phosphorescentes continuent de luire à travers la couche de peinture. 

Pleurer pour ne pas dormir dans la chambre où un train éclaire une nuit pleine de neige. Pauvre mamie sous l’escalier.

« Les envies prennent vie du côté de chez vous ; avec les magasins Leroy Merlin. » Les roues des voitures miniatures se prennent dans la laine. Je ne veux pas dormir.

Gymnastique par-dessus les barreaux pour aller faire pipi.

Fisher-Price joue du Brahms.

Juin 2021. Contribution à la proposition « Perec, lieux où j’ai dormi » du cycle d’ateliers d’écriture Progression.
Photographie Drancy 2021.

bouquet

Ai commencé, ce premier janvier, la recopie complète des Fleurs du Mal sur un petit carnet noir à raison d’un vers par jour. Il faut que je prenne le temps. C’est Guillaume Vissac et son projet de traduire Ulysse phrase après phrase qui m’a lancé.
J’ai demandé à Chat GPT, le recueil compte quelques deux mille neuf cents vers. J’aurais plus de quarante ans si je pousse jusqu’aux Épaves.

Projet Chaos

Année après année, je prends conscience que l’ordre me rassure et m’apaise. Enfant, j’étais bordélique. Comme tous les enfants heureux, j’imagine. Je vois bien l’aspect menaçant d’une ombre néguentropique s’étalant sur les murs de ma vie d’adulte, mais force est de constater que je goûte ses délices au quotidien.
Ouvrons, ce jour, un projet qui aura pour objet d’inventorier de petites parcelles de mon environnement immédiat, ces bulles d’ordre auxquelles je me cramponne et qui me permettent de flotter dans le chaos.

1. Une trousse Mesh-Bag en PVC transparent renforcé par un maillage en tissu. Fermeture éclair noire. Environ 20x7x6 centimètres. Elle commence à se trouer.
1.1 Un stylo Muji à bille 0,38 millimètres et à encre gel noire.
1.2 Un stylo Muji à bille 0,5 millimètres et à encre gel rouge.
1.3 Un critérium Faber-Castell Grip 1345 pour mines 0,5 millimètres.
1.4 Un crayon de couleur BIC evolution rose.
1.5 Un crayon de couleur BIC evolution violet.
1.6 Un crayon de couleur BIC evolution bleu.
1.7 Un crayon de couleur BIC evolution vert. Celui-là a une histoire.
1.8 Un crayon de couleur BIC evolution jaune.
1.9 Un crayon de couleur BIC evolution orange.
1.10 Un crayon de couleur BIC evolution rouge.
1.11 Une souris correctrice Tipp-Ex Mini Pocket Mouse et ses 6 mètres de ruban.
1.12 Un taille-crayon Faber-Castell en métal deux usages (dont seul celui réservé aux crayons de couleurs m’est utile).
1.13 Une recharge de mines Faber-Castell HB Super Polymer 0,5 millimètres. Je préfère les Staedtler, mais, dans ma folie, j’ai acheté une grande quantité de recharges Faber-Castell.
1.14 Un stylo BIC quatre couleurs bleu.
1.15 Une clé USB 2.0 Transcend 16 gigabytes noire. Sur une face, une inscription au blanco à demi effacée indique « D I » ; sur l’autre face, une petite étiquette jaune manuscrite, puis scotchée, indique TASTET.
1.16 Une fève « Mia et le Lion Blanc » à l’effigie d’une girafe. Le socle est cassé.

      best of

      Je voulais, sans trop réfléchir, distinguer un film et un livre qui ont habité mon année 2023 ; c’est la période pour faire ça. Mais, à bien y réfléchir, ça n’a aucun sens : c’est trop frais, rien n’a encore eu le temps de travailler.

      Mes deux prix pour l’année 2022 vont donc à :
      Gerry de Gus Van Sant.
      Cette discussion autour du feu. Courir. Le bleu du générique. Être coincé en haut d’un rocher. Sauter.
      L’affaire Furtif de Sylvain Prudhomme.
      Ce botaniste japonais en quête d’absolu. Le concert.

      Bravo à eux deux.

      L’année prochaine, j’ai envie de lire des bandes dessinées.
      Rendez-vous fin 2025 ?

      Printemps tropical

      C’est une sensation dégoutante, mais qui me plait. Elle fait partie du folklore, au même titre que l’odeur de mandarine sur les doigts ou du bruit des boules qui rebondissent sur le sol après que leur cordelette dorée se soit détachée. Pour l’invoquer, il faut porter de grands cabas en carton et un pull épais dans de drôles de jungles tropicales. Même les économies y fondent.
      On sue.
      C’est la suée de Noël.
      Le mascaret sudatoire. Une fois l’an, on sent des gouttes perler entre nos omoplates.
      J’ai en tête l’image d’un chapon que l’on arrose de son jus. Et celle d’une larme qu’un souffleur de verre enferme dans une boule qu’il façonne.
      On enlève son foulard, le cou est déjà trempé. On passe sous une cascade d’air chaud puis, le vent, le froid et la pluie s’occupent de transformer cette pellicule en picotements de gorge et humeur visqueuse. Les feux rouges et les illuminations se reflètent sur le goudron. Bouillie de feuilles. Les taxis klaxonnent.
      Le soir (dès dix-sept heures), de retour à la maison, on pourrait essorer son tricot de peau pour l’eau du thé. Cannelle et clous de girofle. On mange une mandarine, un peu de chocolat. Tout à l’heure, on se fera une bouillote. Le post-it est abimé. On biffe. Il ne manque plus qu’un ou deux livres. Au pied du sapin, on ne gardera aucun souvenir de la bataille.
      Ce matin, j’ai entendu une collègue annoncer que, pour cette année, ses cadeaux seraient faits à l’huile de coude. C’est elle qui m’a donné l’idée de ce texte. Marrant, parce que moi, mes cadeaux, je les fais à l’huile de cou.

      et finalement

      Lundi 16 octobre 2023, 9 heures.
      Je viens d’envoyer le manuscrit de Ce qui se cache dans la baïne à une maison d’édition. Je me sens triste. Vide. Fatigué, aussi. Un simple mail — une bouteille à la mer — pour clôturer trois années de travail, c’est insignifiant et ridicule. Trois années où la tête n’a jamais été vide. J’ai un creux dans le ventre.
      L’inertie pour écrire ces lignes est forte, mais je sais que ça m’est important. Il me faut me baigner une dernière fois dans ce lac de notes, de phrases, de versions ; livrer une trace à suivre pour s’orienter dans ce labyrinthe que le temps va défoncer. Il est presque l’heure de tout mettre dans une boîte en carton et de partir en voyage, mais pas encore.

      On peut trouver la première occurrence de cette histoire dans mon carnet rouge à la date du 25 juillet 2019 : « Un film d’horreur en huis clos à Carcans Plage. Drame en été, des enquêteurs y reviennent en hiver. » Le lendemain, j’ouvrais un projet Scrivener (v1.9 ♥) et commençais à poser des idées sur l’intrigue, les personnages, les lieux. Ces soubassements — j’ai en tête l’image de gros diamants sales encastrés dans une chape — sont toujours présents dans le manuscrit final.
      L’été passe. J’infuse.

      À la rentrée commence la préparation à l’agrégation. J’échoue aux écrits six mois plus tard. Trois jours après la parution de mon échec, le président de la République nous invite à nous confiner. Je pars chez mes parents, dans la forêt, près de l’océan, et retrouve l’écriture avec le récit d’un jeune homme qui se réveille un matin et s’aperçoit que tout le monde, hormis lui, a disparu.
      Lectures. Longues ballades parmi les pins durant lesquelles on reconnaît ses maîtres. On apprend aussi à taper sur un clavier.
      Mai. Les règles de distanciation s’assouplissent et je vais surfer aux aurores avec G. et son amoureuse. Les vagues sont belles. Un couple d’amis à eux est aussi présent. Il est prof de surf et a monté son école, sa copine vivote à ses côtés. Les discussions entre surfeurs me laissent entrevoir un monde où tout le monde parle d’un rêve que personne ne vit. La bande grandit, on se retrouve les matins sur le parking, le soir en ville pour des bières (premières gorgées d’une liberté qui ne m’a pas tant manqué que ça). Les personnalités gravitent autour de quelque chose que je n’arrive pas à identifier. Je retrouve l’ambiance de mes étés adolescents sur la côte, teintée par l’étrangeté qu’apporte quelques années d’expérience du vrai monde. Je vois ces presque inconnus jouer un rôle, j’enfile moi-même un costume pour participer à cette pièce de théâtre que l’on monte tous — tacitement — dans le silence de notre clameur.
      Je reprends le Scrivener ; ouvre un document Word : été – 1er jet. J’écris après le surf. Je construis. Discipliné. Ça, je sais déjà un peu le faire. Une heure et demi par jour, parfois deux, par tranche de trente minutes. Je suis convaincu qu’il y a là quelque chose à raconter.
      En août 2020, le premier jet de la partie estivale est rédigée et en décembre vient s’ajouter la partie hivernale que j’imagine alors comme un prolongement policier et métaphysique de ce qui s’est joué l’été sur la côte. J’ai un premier jet de 50.000 mots. On y trouve des miniatures de ce que j’aime : des références directes à mes lectures du moment, à d’autres plus anciennes, à des films, à des airs. Les personnages sont mes amis et mes collègues, à peine digérés par les phrases. Questionnement — toujours actuel — sur la pollution ou l’enrichissement d’un texte par le vécu quotidien. Dilue-t-on le propos ? Le densifions nous ? Il suffit de souligner un mot dans un livre pour l’employer le lendemain. Toujours est-il que j’ai créé un microcosme. Les sutures sont grosses, on voit la ferraille, mais le dragon remue.

      J’ai le bloc de pierre, reste à le sculpter. Une règle : pas un jour sans toucher au texte, que tout ne s’écroule pas par perte de sens. Toujours par coup de trente minutes. Le Pomodoro tourne. Ma journée n’est faite que si je trace un petit rond vert sur mon agenda. C’est souvent agréable une fois que l’on est dedans, mais toujours rude de s’y mettre. Laborieux. Parfois, on perd pied.
      Souvenir d’écrire rageusement sur un bureau minuscule après avoir offert à contre-cœur ma journée à quelqu’un d’autre. Changement crucial dans mon état d’esprit : chaque heure est une heure possiblement passée à écrire. Et vu la taille du squelette à excaver, c’est une ressource précieuse.
      « 10/05/21 : Barre des 500h passée la semaine dernière. 1000 ? 1500 ? »
      Des chapitres comme des montagnes à franchir. Creuser les virages, les tunnels dans la roche pour y faire passer ce que l’on a à raconter.
      Juin 2021, la première reprise est finie. J’ai dans l’idée d’en faire une seconde, puis de coller ensemble les deux parties, voir ce que ça donne. Mais au fond de moi, sur ce qui deviendra mon horizon, je commence à voir se dessiner le temps long de l’écriture, l’obsession. Les phrases par cœur, les heures sur un mot, les subtilités d’une virgule. Le paragraphe roi.
      Été 21. La fin d’un chapitre. Déménagement. Rentrée des classes. Le chaos me force parfois arrêter quelques semaines. Période âpre. Difficile de stopper la machine pour lire. J’écris dans le train, avant et après le soleil. Une heure par jour. Fatigue chronique. Beaucoup de temps consumé dans la recherche de détails, dans des réflexions sur les personnages, leur nationalité, leur vraisemblance. Des puzzles dont les pièces se mélangent. Je m’initie à la poésie classique, fouille Wikipédia, suce le dictionnaire des couleurs et celui des synonymes.
      Dans la brume noirâtre, des appels de phare, des éclairs. Périodes de grâce. Et, chance inouïe, une lanterne a décidé de brûler à mes côtés.
      Je boucle la seconde relecture. Il reste de grands travaux. Un champs de trou à combler, puis à aplanir. Tiraillement qui dure — et durera — concernant la gestion de l’approvisionnement en gravats. Il n’y a pas beaucoup de place dans ce rêve d’écrivain. La littérature emporte tout.
      1er octobre 2021. On me vole mon ordinateur et deux semaines de phrases non sauvegardées. Assommé, je décide de vite engloutir ce malheur dans le travail. Je mets aussi en place un système d’archivage solide. Des cendres naît la sérénité. Cet épisode m’a forgé. J’y ai compris la valeur de mon écriture. Aujourd’hui, je lis le passage brûlé par le vol sans arrière-pensée.
      Les relectures et réécritures s’enchainent (m’enchainent ?). À chaque nouvelle passe, je plonge un peu plus profondément. La lumière devient rare. Des vertiges. Malgré la complexité tout à la fois technique et sensible des problèmes à résoudre, je navigue avec plus d’aisance dans le monde créé que dans celui que l’on m’impose. Je taille des branches, mais trouve, lorsque je reviens trois mois plus tard, une jungle de pousses vives et de nouveaux bourgeons à la place de mon jardin à la française. Ça foisonne et je sens que je peux me perdre. L’heure des choix n’est même pas encore là. Grand marasme boueux dans un verre d’eau. Je continue d’avancer en espérant que ça décante (en fait, ça se diluera plutôt, mais l’eau restera marron). Peur, aussi, que tout ce travail dénature l’Idée (qui, a posteriori, n’est rien). De l’importance du plan et des notes comme carte et boussole ; antipoisons depuis le commencement.
      « 28.2.22 J’ai écrit un sonnet. »
      « 29.2.22 Recherche bibliographie sur la poésie brésilienne. Ça prend de l’ampleur. Attention à ne pas faire une grosse merde. »

      Été 22 : Vente du petit bureau blanc sur lequel beaucoup s’est écrit. Je garde l’argent en souvenir. Une année s’ouvre devant moi pour voguer sur lecture/écriture/cinéma. Je vais bien vite me rendre compte que ça ne fonctionne pas comme ça. Achat d’un beau bureau. Joie immense.
      Octobre 2022 : travail à la British Library sur un chapitre difficile. Souvenir vivace de l’écriture du premier jet à Saint Jean d’Illac, deux ans auparavant. Je vis avec ce texte en moi. J’expérimente avec lui.
      Novembre 2022 : moral sombre. Ouverture du Cahier de travaux pratiques. Ces bouffées d’air frais sont absolument nécessaires pour ne pas trop se tordre. Les livres du Cobra, en juin dernier, en était une autre, euphorisante.
      Grosse maladie. Une nouvelle fois, sentiment que l’hôpital a ce pouvoir magique de tout remettre en ordre. Je me sens calme et serein. Propre et repassé.
      Suit une convalescence studieuse. De la marche entre les pins, la réappropriation du corps, puis des journées denses à quatre heures d’écriture, près de l’eau et des rochers pointus. Pas de géant. En fin d’après-midi, à marée basse, difficulté de reprendre pied avec le réel. Encore un nouveau pallier dans la découverte de ce que peut induire, en soi, l’activité d’écrire. Un mouvement intérieur fort. Un pendule | Un brassement | Un siphon.
      Premières lectures à voix haute au coin du feu. Les faiblesses m’apparaissent dès les premières phrases. Tout se bloque. J’en ai marre. Je suis épuisé par ce texte tiède et stérile encore plus que par la maladie, me semble-t-il. J’arrête tout et écrit — frénétiquement — un recueil de poèmes qui traite en creux de l’armure que je porte depuis trois ans, que je traine quotidiennement sur un champ de bataille vide. Joutes.
      Je décide de partir à la campagne dix jours pour faire le point. Je m’y rends en ayant envie d’abandonner le romanesque et de devenir poète. M. refuse tout net. J’ai déjà passé trop longtemps engoncé là-dedans, je n’ai pas le droit de ne pas finir. Elle ne comprend pas ce que cela implique, pour elle, j’ai déjà fini de l’écrire depuis longtemps, ce roman, mais elle a raison. J’installe des tréteaux et une planche prêtés par un ami peintre, envoie mon recueil à une flopée de maisons et compte exactement le travail qu’il me reste à accomplir dans la baïne. Puis je m’y remets. Sec. Dans une version loufoque du fantasme de l’écrivain solitaire, je reprends ma sente, un souffle presque nouveau dans les poumons. Les versions antérieures sont renommées d’après les étapes nécessaires à la construction d’un bateau. Les problèmes se règlent en travaillant sur le polissage de la coque. D’autres apparaissent, mais ils sont de l’ordre de l’ornementation (du moins le croyais je à l’époque, c’était en fait plutôt de l’accastillage dont il était question). L’histoire se solidifie, prend corps. On arrive à des détails de détails. Je commence seulement à m’intéresser à la forme, comprend ce qu’elle peut apporter au fond. Il faudra, bien sûr, à l’avenir, construire les deux simultanément.
      Voyage à Marseille. J’écris le matin, suis heureux le reste de la journée. Le livre me porte.
      Bibliothèques parisiennes. Vrai bonheur d’écriture. Je cours. Malgré le temps de séchage des réécritures successives, le ciment entre les briques reste assez frais pour mettre le mur d’aplomb.
      Je lis L’Illiade dans un avion, sur la plage et dans mon lit. J’y retrouve un passage que j’ai écrit. Un signe des dieux.
      Fin septembre, je suis dans l’ultime (dixième) version. Un ami et ancien collègue qui a inspiré un des personnages m’invite. Je ne l’ai pas vu depuis plus d’un an. En le mettant en mots, je n’avais pas réfléchi au fait que le modèle allait lui aussi vivre pendant que je serai occupé à lui tisser une autre vie. On boit. Drôle d’impression de m’adresser à celui que j’écris. Il est venu à Paris pour le mariage d’un autre collègue, lui aussi présent dans le roman. Mes personnages et leurs avatars de chair (ou l’inverse en papier) me font l’impression de tous être également crédibles, bien alignés dans la même impulsion de départ. Je rentre tôt chez moi pour pouvoir travailler le lendemain. Il n’y a plus de dimanche depuis un moment. Le plus dur n’est plus de s’y mettre, mais de ne pas le faire. De sortir de sa tête. D’offrir des heures d’écriture au monde qui m’inspire des personnages. Un mort-vivant de part et d’autre.
      À l’autre bout de la lunette, une lueur blafarde vibre.

      Lundi 9 octobre, c’est fini. J’ai écrit un roman et n’ose plus le rouvrir.
      Je peaufine le mail adressé à Vulcain. J’étais seul à ma table de travail pour ce moment que j’imaginais émouvant. Mais pas d’effusion de joie à consigner ici. Pas de sentiment du devoir accompli, pas de champagne. Presque rien, si ce n’est ces cent soixante-quinze pages découpées à ma vie.

      Le 16 octobre, donc. Toujours cette tristesse qui me fige. J’ai appris à vivre avec cette histoire que je devais fabriquer. Je pensais devoir m’astreindre à entretenir un feu pour y voir clair, sans me rendre compte à quel point sa chaleur m’était vitale.
      Je ne sais pas quoi attendre de mon envoi. J’ai fait de mon mieux. J’ai travaillé sérieusement. Viscéralement. J’ai raconté une histoire que j’aimerais lire. Le rêve serait maintenant de la moudre et d’en faire un pain à partager avec des lecteurs inconnus.
      J’ai des pistes pour la suite. Certaines plus compactes et ramassées que celle qui s’achève ici, qui voudraient pousser le fond et la forme, d’autres tellement vastes qu’elle me terrifient. Je vais vite m’y remettre. Au moins deux projets de front, pour ne pas s’abrutir, en tout cas dans un premier temps.
      En trois ans, je sens que quelque chose s’est décalé en moi. On pourrait peut-être le formuler comme ça : « 30/10/23 : Aujourd’hui, je préfère écrire sur ce qu’il se passe pendant deux mois sur une plage plutôt que de goûter à l’eau. Pour dire vrai, elle m’a toujours paru trop froide. »

      déploiement

      grosso modo :
      . . . quarks . hadrons . atomes . molécules . acides aminés . protéines . neurones . cerveau . corps . lit . chambre . maison . quartier . ville . pays . continent . monde . Terre . Lune . Mars . Système solaire . Voie lactée . Groupe local . superamas de la Vierge . Univers observable . . .

      où placer la pensée ?

      la mer à boire

      les peaux violettes / argile humide / les teintes boyaux / fils de fer

      courir en songe / la mer à boire / souffle lourd en chair / dans le réel goutte la transpiration

      d’un rêve usé jusqu’à la moelle / juste jusque dans le drapé de la chemise / plaisir de la précision dans la recherche / des lévriers en chasse / d’oiseaux et de scalps / avec yeux évidés

      Les corps plus affûtés que les armes / pistolet ridicule / le chapeau / calvitie contre plumes

      Les mardis soirs ; plaisirs d’atelier.